dimecres, 16 de desembre del 2020

Girard i el boc expiatori





René Girard (1923-2015), professor a Stanford, autor de La violence et le sacré (1972) i Le Bouc émissaire (1982), va estudiar el tema de l'homicidi col·lectiu del boc expiatori com a moment fundacional de religions (primer es mata la víctima i després se la sacralitza). A la Viquipèdia hi ha una bona entrada sobre el seu pensament.

A la revista Saber n.3, 2ª època, maig-juny 1985, pp. 42 a 53, hi ha un interessant article seu sobre aquest tema en el pensament de Nietzsche, a partir del comentari de l'aforisme 125 de La gaia ciència. Hi subratlla que l'èmfasi no s'ha de posar en la frase "Déu ha mort" (Gott ist tot), com si hagués mort de vell, de mort natural, sinó en la frase "nosaltres l'hem mort" (wir haben ihn getotet).


Adjuntem algunes cites de Girard:

"Les hommes transfèrent sur le bouc émissaire la responsabilité entière du mal, après son sacrifice ils transfèrent sur lui la responsabilité du bien. C’est pourquoi plusieurs mythes racontent l’histoire de boucs émissaires devenant des divinités."

"La genèse d’un mythe, c’est toujours un groupe de persécuteurs qui transforme son bouc émissaire d’abord perçu comme seulement maléfique en une divinité bénéfique, à cause de sa puissance réconciliatrice."


"Pour qu'un groupe humain perçoive sa propre violence collective comme sacrée, il faut qu'il l'exerce unanimement contre une victime dont l'innocence n'apparaît plus, du fait même de cette unanimité."


"La foule tend toujours vers la persécution car les causes naturelles de ce qui la trouble, de ce qui la transforme en turba ne peuvent pas l’intéresser."


"Avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a; apprendre qu’on en a un, c’est le perdre."


"Il est criminel de tuer la victime parce qu’elle est sacrée ; mais la victime ne serait pas sacrée si on ne la tuait pas."


"Tous les acteurs et témoins de la crucifixion ou bien sont déjà hostiles à Jésus, ou bien ils le deviennent en vertu du mimétisme qui n’en épargne aucun."


"Un mythe fondateur est un phénomène de bouc émissaire déformé de façon spécifique et toujours reconnaissable parce que ce sont les lyncheurs eux-mêmes qui le racontent, autrement dit les bénéficiaires jamais détrompés de la réconciliation qui résulte du lynchage unanime et de rien d’autre."


"Le sacrifice, quand il cherche à retrouver son efficacité en sélectionnant une victime toujours plus précieuse, s’en prend aux êtres mêmes qu’il devrait protéger, il régresse vers le sacrifice humain. Il perd toute sa cohérence."


"Pour que le sacrifice soit possible, il faut croire que la victime originelle est responsable du désordre mimétique d’abord et ensuite, par l’intermédiaire de la violence unanime, du retour à l’ordre."


"En observant les hommes autour de nous, on s'aperçoit vite que le désir mimétique, ou imitation désirante, domine aussi bien nos gestes les plus infimes que l'essentiel de nos vies, le choix d'une épouse, celui d'une carrière, le sens que nous donnons à l'existence."


"Le sacrifice est un effort pour tromper le désir de violence en prétendant, dans la mesure du possible, que la victime la plus dangereuse, la plus fascinante donc, est celle du sacrifice plutôt que l’ennemi qui nous obsède dans la vie quotidienne."


"Le biblique et l’évangélique privent lentement l’humanité de ses dernières béquilles sacrificielles ; ils nous confrontent à notre propre violence."


"Partout où les Evangiles s’implantent, les sacrifices sanglants disparaissent à jamais et la plus grande révolution culturelle de l’humanité se déclenche."


"Dans les Evangiles, l'enseignement de Jésus et la Passion constituent donc le développement rigoureux d'une logique paradoxale. Tout ce qui rend un être divin aux yeux des hommes, le pouvoir de séduire ou de contraindre, l'aptitude à s'imposer irrésistiblement, Jésus n'en veut pas.

On dirait qu'il veut tout le contraire. En réalité, il ne désire pas l'échec mais ne s'y dérobera pas si seul ce moyen lui permet de rester fidèle au Logos du Dieu des victimes. Ce n'est pas le goût de l'échec qui secrètement le motive, mais la logique du Dieu des victimes qui le conduit infailliblement à la mort."


""Je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre, je suis venu séparer le fils du père, la fille de la mère. etc.", ça ne veut pas dire : "Je suis venu apporter la violence" ; mais plutôt : "Je suis venu apporter une paix telle, une paix tellement privée de victimes, qu'elle surpasse vos possibilités et que vous allez devoir en passer par une explication avec vos phénomènes victimaires.""


"Dans les Évangiles tout est imitation puisque, puisque le Christ lui-même se veut imitant et imité. À la différence des gourous modernes qui prétendent n'imiter personne… mais veulent se faire imiter à ce titre-à, le Christ dit : "Imitez-moi comme j'imite le Père."

Les règles du royaume de Dieu ne sont pas du tout utopiques: si vous voulez mettre fin à la rivalité mimétique, abandonnez tout au rival. Vous étoufferez la rivalité dans l'œuf. Il ne s'agit pas d'un programme politique, c'est beaucoup plus simple et plus fondamental. Si autrui vous propose des exigences excessives, c'est qu'il est déjà dans la rivalité mimétique, il s'attend à ce que vous participiez à la surenchère. Donc, pour y couper court, le seul moyen, c'est de faire le contraire de ce que la surenchère réclame : payer au double la demande provocatrice. Si on veut que vous marchiez un kilomètre, faites-en deux ; si on vous frappe la joue gauche, tendez la droite. Le Royaume de Dieu n'est rien d'autre, mais cela ne veut pas dire qu'il soit d'accès facile…"


"La lapidation n'était requise que pour les épouses adultères, pas pour les époux. Au premier siècles de notre ère, cette prescription était contestée. Certains la jugeaient trop sévères. Jésus se trouve confronté à un dilemme redoutable. S'il dit non à la lapidation, le soupçon paraît confirmé. S'il dit oui, il trahit son propre enseignement, entièrement dirigé contre les contagions mimétiques, les emballements violents dont cette lapidation, si elle avait vraiment lieu, serait un exemple, au même titre que la Passion. À plusieurs reprises, Jésus est menacé de lapidation dans des scènes qui annoncent et préparent la Passion. Le révélateur et le dénonciateur du meurtre fondateur ne peut manquer d'intervenir en faveur de toutes les victimes du processus qui finalement aura raison de lui.

Si les hommes qui interpellent Jésus ne désiraient pas susciter la lapidation, ils ne placeraient pas la coupable "bien en vue", ils ne l'exhiberaient pas complaisamment. Ils veulent que rayonne sur la foule, sur les passants éventuels, la puissance du scandale qui émane de l'adultère. Ils veulent pousser jusqu'à son terme fatal l'emballement mimétique qu'ils ont déclenché."


"En repérant le mensonge qui structure la polarisation de la foule contre Jésus, les Evangiles nous fournissent une clef qui ouvre d’innombrables serrures et transforme radicalement la culture, non seulement de l’Occident, mais du monde entier.

Tant que le monde occidental était chrétien, il donnait au mot mythe, spontanément, le sens de mensonge. Il ne pouvait pas dire pourquoi, mais il y avait en lui un instinct de vérité que nous avons perdu. Il importe d’en retrouver le goût.

Les Evangiles tiennent pour fausse la croyance des lyncheurs qui sont assurément coupables, mais pardonnables, car leur illusion est involontaire. C’est ce que dit le Christ de ses persécuteurs : « Seigneur, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. » Et c’est aussi ce que dit Pierre dans les Actes des Apôtres. Vous et vos chefs, vous êtes moins coupables que vous ne l’imaginez.

On se trompe complètement quand on s’efforce de rendre les textes chrétiens et le premier christianisme responsables de l’acharnement, des siècles plus tard, des païens mal christianisés contre les Juifs, perçus comme seuls responsables de la Passion du Christ.

Tous les hommes sont également responsables de la Passion du Christ car, en elle, se résume la vérité de toute l’humanité, enracinée dans des cultures forcément tributaires, elles aussi, de quelque violence collective à laquelle, pour le meilleur et pour le pire, ces hommes sont redevables de leur humanité.

Avant les Evangiles, personne ne savait que les lyncheurs mythiques choisissent leurs victimes au hasard. Aujourd’hui tout le monde le sait, mais sans se douter que c’est au biblique et à l’évangélique que notre monde est redevable de ce savoir.

Si on ne parle pas de science, pour le savoir dont je parle en ce moment, ce n’est pas parce que la certitude est insuffisante, c’est au contraire parce qu’elle est trop forte. Ce genre de savoir est si puissant que les logiciens le baptisent common knowledge et on ne le tient plus pour scientifique. Il est si bien établi qu’une humanité étrangère à lui est devenue en quelque sorte inimaginable. Cela n’empêche pas ledit savoir de rester aussi scientifique que jamais. Qui peut le plus peut le moins."


"Dans un monde violent, le divin pur de toute violence se manifeste obligatoirement par l'intermédiaire de l'événement qui fournit déjà au sacré violent son mécanisme générateur. L'épiphanie du Dieu des victimes suit la même "route antique" et passe par les mêmes phases exactement que toutes les épiphanies du sacré persécuteur. En conséquence de quoi, pour le regard violent, le Dieu des victimes ne se distingue absolument pas du Dieu des persécuteurs. Notre pseudo-sciences des religions repose toute entière sur la conviction qu'il n'y a pas de différence essentielle entre les diverses religions.

Cette confusion affecte le christianisme historique, le détermine jusqu'à un certain point. De nos jours, l'antichristianisme s'efforce de la perpétuer. Il s'accroche désespérément à la théologie la plus sacrificielle pour ne pas perdre ce qui le nourrit, pour se croire toujours habilité à dire : le christianisme n'est qu'une religion de la violence parmi d'autres, voire même la pire de toutes.

Le Logos du Dieu des victimes est à peu près invisible aux yeux du monde. Quand les hommes réfléchissent à la façon dont Jésus mène son entreprise, ils ne voient guère que son échec, ils le voient même de mieux en mieux et, forcément, ils le voient comme définitif, sans appel."


"La foule précède l'individu. Ne devient vraiment individu que celui qui, se détachant de la foule, échappe à l'unanimité violente. Tous ne sont pas capables d'autant d'initiative. Ceux qui en sont capables se détachent les premiers et, ce faisant, empêchent la lapidation.

Cette imitation comporte une dimension authentiquement individuelle. La preuve, c'est le temps plus ou moins long qu'il requiert suivant les individus. La naissance de l'individu est naissance des temps individuels. Aussi longtemps qu'ils forment une foule,ces hommes se présentent tous ensembles et ils parlent tous ensemble pour dire exactement la même chose. La parole de Jésus dissout la foule. Les hommes s'en vont un à un, suivant la différence des temps qu'il faut à chacun pour entendre la Révélation.

Comme la plupart des hommes passent leur vie à imiter, ils ne savent pas qu'ils imitent. Même les plus capables d'initiative n'en prennent presque jamais. Pour savoir de quoi un individu est capable, il faut une situation exceptionnelle, telle cette lapidation manquée."


"Nos institutions doivent être l'aboutissement d'un lent processus de sécularisation qui ne fait qu'un avec une espèce de "rationalisation" et de "fonctionnalisation". Il y a longtemps que la recherche moderne aurait repéré leur véritable genèse si elle n'était pas handicapée par son hostilité irrationnelle, au fond, pour le religieux."