dimecres, 2 de maig del 2018

Homo demens




Fautrier 1926


"Homo sapiens est un être d'une affectivité intense et instable qui sourit, rit, pleure, un être anxieux et angoissé, un être jouisseur, ivre, extatique, violent, aimant, un être envahi par l'imaginaire, un être qui sait la mort et ne peut y croire, un être qui sécrète le mythe et la magie, un être possédé par les esprits et les dieux, un être qui se nourrit d'illusions et de chimères, un être subjectif dont les rapports avec le monde objectif sont toujours incertains, un être soumis à l'erreur, à l'errance, un être ubrique qui produit du désordre. Et comme nous appelons folie la conjonction de l'illusion, de la démesure, de l'instabilité, de l'incertitude entre réel et imaginaire, de la confusion entre subjectif et objectif, de l'erreur, du désordre, nous sommes contraints de voir qu'homo sapiens est aussi homo demens."


Edgar Morin a Le paradigme perdu: la nature humaine (1973)



Altres cites de Morin sobre el tema:


- Nous cherchons et trouvons le paroxysme d'existence dans les danses, transes, fêtes, exaltations et adorations religieuses, enthousiasmes (mystiques, politiques, sportifs), amours, et nous atteignons le comble du vivre lorsque l'ivresse de soi, la fusion avec l'autre, la tendresse infinie, les baisers fous, les violences furieuses se mêlent et se transfigurent en un éclatement solaire. Nous sommes sans cesse à la merci d'une ubris, d'une démesure dans le vivre. Homo ne cherche pas seulement à consommer pour vivre. Il tend aussi à se consumer dans le vivre, et c'est parce qu'il est hyper-vivant qu'homo sapiens est en même temps homo demens.

- La démence de sapiens c'est l'insuffisance et la rupture des contrôles, mais le génie de sapiens c'est aussi de n'être pas totalement prisonnier des contrôles, ni du "réel" (l'environnement), ni de la logique (le néo-cortex), ni du code génétique, ni de la culture et de la société, et c'est de pouvoir contrôler ces contrôles l'un par l'autre. Le génie de sapiens, il est dans la brèche de l'incontrôlable où rôde la folie, dans la béance de l'incertitude et de l'indécidabilité où se font la recherche, la découverte, la création. Il est dans la liaison entre le désordre élohistique des profondeurs inconscientes et cette émergence étonnante et fragile qu'est la conscience. L'extrême conscience de sapiens côtoie, risque, brave, plonge dans le délire et la folie. La démence est la rançon de la sapience.

- La première source de la "folie" de sapiens est évidemment dans la confusion qui fait considérer l'imaginaire comme réalité, le subjectif comme objectif, et qui peut conduire à la rationalisation délirante dans le sens clinique du terme ou l'excès de logique et l'excès d'affectivité sont liés, le premier justifiant, masquant et organisant les pulsions inconscientes et les intérêts subjectifs. Alors que la débilité mentale ne produit pas assez de sens, la source de cette folie sapientale est dans la débauche sémantique qui produit du sens là où il y a ambiguïté et incertitude. Mais surtout la démence de sapiens culmine et déferle quand il y a simultanément absence, dans et sous le jeu pulsionnel, des quatre contrôles fondamentaux : le contrôle de l'environnement (écosystème), le contrôle génétique, le contrôle cortical, le contrôle socio-culturel (lequel joue un rôle capital pour inhiber l'ubris et la démence de sapiens).

- Le terme sapiens/demens signifie, non seulement relation instable, complémentaire, concurrente et antagoniste entre la "sagesse" (régulation) et la "folie" (déréglement), il signifie qu'il y a sagesse dans la folie et folie dans la sagesse.

- Rappelons-le : homo est sapiens/demens. Sa folie n'est pas seulement de nature "hystérique" c'est-à-dire dans la propension à donner réalité absolue à ce qui n'est qu'une hallucination perceptive ou idéologique ; elle n'est pas seulement de nature idéaliste, c'est-à-dire dans l'aptitude à donner plus de réalité à l'idée qu'au réel ; elle est aussi de nature rationalisatrice, c'est-à-dire dans l'aptitude à préférer la cohérence à l'expérience. Il peut s'aveugler sur les données, il peut être inconscient des principes qui organisent sa propre pensée (paradigmes), mais son aveuglement et son inconscience sont les plus virulents lorsque la logique de son idée - son idéologique - le convainc de sa propre raison. Dans ce sens, l'homme, comme le dit Castoriadis, est un animal fou dont la folie a inventé la raison. Or la pire folie serait de croire qu'on puisse supprimer la folie. La dernière folie est de ne pas reconnaître la folie. Celle-ci est en germe non seulement dans les désordres de l'esprit d'homo, qui le font extravaguer mais lui permettent imagination et invention ; elle est aussi en germe dans l'ordre de sa raison même. Toutefois, cette raison est en même temps ce qui permet de lutter contre cette folie.

- Notre esprit produit à la fois l'erreur et la correction de l'erreur, l'aveuglement et l'élucidation, le délire et l'imagination créatrice, la raison et la déraison. Plus profondément, nous devons savoir qu'homo est à la fois sapiens et demens, que la relation entre ces deux termes n'est pas seulement d'opposition, mais aussi d'indissociabilité, de complémentarité et d'ambiguïté et qu'il n'y a pas de frontière nette entre raison et déraison.

- On a trop longtemps vécu sur l'idée simpliste de l'Homo sapiens, Homo faber, l'homme rationnel, l'homme technique. Or l'homme est "homo sapiens homo demens". Cela ne veut pas dire qu'il y a cinquante pour cent de raison et cinquante pour cent de folie et qu'il y a une frontière entre les deux. Cela veut dire que nous avons ces deux polarités et qu'il n'y a aucune frontière entre les deux.

- L'humain est un être à la fois pleinement biologique et pleinement culturel, qui porte en lui cette unidualité originaire. C'est un super- et un hypervivant: il a développé de façon inouïe les potentialités de la vie. Il exprime de façon hypertrophiée les qualités égocentriques et altruistes de l'individu, atteint des paroxysmes de vie dans des extases et ivresses, bouillonne d'ardeurs orgiastiques et orgasmiques, et c'est dans cette hypervitalité que l'homo sapiens est aussi homo demens.

- La dialogique sapiens/demens a été créatrice tout en étant destructrice ; la pensée, la science, les arts ont été irrigués par les forces profondes de l'affectivité, par les rêves, angoisses, désirs, craintes, espérances. Dans les créations humaines il y a toujours le double pilotage sapiens/demens. Demens a inhibé mais aussi favorisé sapiens. Platon avait déjà remarqué que Diké, la loi sage, est fille d'Ubris, la démesure.