dimarts, 30 d’abril del 2024

Entrevista amb el pare Duval





Preciosa entrevista de Claude Goure al pare Aimé Duval apareguda a "Panorama aujourd'hui"  N° 180, març de 1984, molt poc abans de la seva mort el 30 d'abril de 1984 (ara fa 40 anys...).


Il avait disparu celui qui chantait: Qu'est-ce que j'ai dans ma petite tête, le Ciel est rouge, Rue des Longues-Haies... Des succès qui ont fait le tour du monde et qui continuent de courir sur les lèvres, car le père Duval avait su créer une véritable chanson populaire d'inspiration religieuse. Il avait disparu... Ou plutôt il avait sombré au fil d'un voyage au bout de la nuit. Un voyage dont il est revenu et qu'il a raconté dans un livre et qu'il reprend, ici, pour nous. Avec émotion, passion, tendresse...


Pourquoi un jour, on se décide à raconter un voyage au bout de la nuit?

Je le devais à tous ceux qui m'ont fait confiance lorsque je chantais Jésus-Christ et qui avaient le droit de savoir ce que j'étais devenu.
Mais je le devais surtout aux alcooliques. Quand je ne l'étais pas moi-même, quand la maladie ne s'était pas encore déclenchée chez moi, je passais à côté d'eux avec indifférence. Je ne avais pas ce que c'était! Mais quand je suis devenu alcoolique à mon tour, j'ai découvert que c'était effroyable, pire que tout ce que l'on peut imaginer. Et quand j'ai appris que nous étions 13% en France - plus de 6 millions! -, la révolte est montée en moi. Une colère que je n'ai pu maîtriser.

Une colère contre qui?

Contre la conspiration du silence! On se tait tandis que 6 millions d'hommes et de femmes " bousillent " leur famille, se retrouvent en taule ou meurent dans le désespoir. Inadmissible! Puisque j'étais passé par là, il fallait que je parle. J'aurais tout risqué pour ça. Tout, tout, tout... Même mon maintien dans la Compagnie de Jésus : si mon Supérieur m'avait interdit de public, je partais... Une exigence intérieure. Une justice à ceux qui souffrent de l'alcoolisme. Les conjoints, les enfants... Et les alcooliques eux-mêmes: à la fois coupables et victimes...

Il fallait avoir ce courage!

Je n'ai pas eu de courage. Ça s'est imposé! J'ai dit à mes supérieurs: "Je sors un livre sur mon alcoolisme!" Ils m'ont répondu: "Très bien!" J'ai pu tout dire. Et ils ont tout accepté. Du coup, j'en ai oublié les imbéciles sur qui j'étais tombé jadis. Chapeau, la Compagnie de Jésus!

Ce livre, vous l'avez dicté, au magnétophone, au volant de votre voiture...

Parce que je parle plus facilement que je n'écris.

Mais pourquoi dans votre voiture? Vous auriez pu parler aussi, ici, dans votre chambre!

La voiture représente pour moi une double réalité spirituelle. Un lien. Mais aussi un moyen de fuir. Comme l'alcool...
J'ai choisi la nuit aussi pour parler. La nuit on voit la route, seulement on ne voit pas le monde. Ce monde que je n'aimais plus à la fin... Mais maintenant, j'ai retrouvé une vitalité formidable. Plus forte encore que celle qui m'a fait faire 2 millions de kilomètres dans 40 pays du monde, avec mes chansons.

Justement, parlons un peu des chansons et du foudroyant succès que vous avez connu il y a vingt-cinq ans: l'Olympia, des millions de disques, des récitals dans le monde entier, des foules de 30 000 personnes à Londres, à Berlin... Qu'est-ce qui s'est passé soudain entre le public et vous?

Je ne sais pas. J'avais écrit ces chansons, à partir de ce que je vivais. Je suis seulement un petit bonhomme, mais j'aime Jésus-Christ et il s'est trouvé que ces chansons que j'avais faites pour "Monsieur Jésus-Christ" ont plu aux gens. Voilà tout. D'abord dans les bistrots où j'allais comme missionnaire populaire et où j'ai commencé à les chanter.

Ça a commencé comme ça?

Comme ça. Dans les bistrots. Et puis, soudain, ce fut cette explosion tout à fait extraordinaire. Parce que, je crois, les gens ont eu envie d'entendre parler de Jésus-Christ.

Mais quand une telle popularité vous tombe dessus, comment supporte-t-on?

Je suis passé au travers... Tellement de choses pratiques prenaient tout mon temps. Entretenir ma voiture. Prévoir les voyages. Penser au passeport. Acheter un plan de la ville. Faire une visite de courtoisie à l'évêque et au maire. Supporter la jalousie de quelques collègues. Donner de l'argent aux quémandeurs. Engueuler un escroc. Supporter à la limite de mes forces la vie chagrinée des pauvres, des malades, des déprimés, des prisonniers... Trouver le temps de finir une chanson. Répondre au courrier... Des millions de lettres dont j'ai encore des caisses entières. Lettres amicales, émouvantes, implorantes, questionneuses, encourageantes. Rarement des lettres méchantes, anonymes, injustes, sectaires et bête à pleurer. Et je pleurais en effet. Sensibilité anormalement vive. En ce temps-là, j'étais sensible aux critiques injustifiées. La méchanceté et la malhonnêteté existaient et ni mon père ni ma mère, paysans courageux et fiers, ne m'avaient préparé à les supporter...

C'est comme ça qu'est venu l'alcoolisme?

La fatigue est une des conditions de sa venue. Mais finalement, ce n'est ni la fatigue des concerts ni la bêtise de que quelques-uns qui m'ont fait boire. Ni la solitude affective, comme on le dit souvent... Rien non plus, ne me prédisposait à devenir alcoolique. Enfant, j'avais été aimé, et mes parents ne m'ont pas donné un cœur de lâche. Les raisons sont donc ailleurs...

Découvrons ces raisons précisément. Vous dites toute la vérité sur l'alcool, père Duval... Y compris celle-ci: "Le vin m'a aidé aussi à faire mes chansons..."

...Il leur a donné leur coloration de nostalgie, ou de colère, de fatigue ou d'attente du ciel. Pour sentir la maladie du temps, pour éprouver la douceur du monde futur où l'on s'aimera, et pour crier que ce hiatus me fait mal, l'alcool m'a aidé, je le reconnais et je ne regrette rien.
Comprenez bien cela... Il y a deux phases dans la maladie alcoolique. Une période de vin heureux d'abord. Tous les alcooliques passent par elle. Je me souviens, par exemple, de cette merveilleuse rencontre à Madagascar. Un de mes très bons amis jésuite, missionnaire là-bas, m'avait demandé de lui procurer une jeep et du fer à béton. Ce que j'avais fait, en profitant pour aller lui rendre visite. Il m'attendait dans sa cahute de branches et nous bûmes ce jour là, avec les larmes aux yeux, les verres de l'amitié et des retrouvailles après tant d'années...

Le vin était bon...

Ah! Oui... Pour tout ce que nous y mettions. Le vin accompagnait ainsi toutes mes joies: de l'esprit, du cœur...

De la création?

Évidemment... J'étais ici, à cette table où vous me voyez. A l'époque ce n'était pas du vin, trop fort pour créer, que je buvais, mais de la bière de table que j'allais prendre dans l'armoire au rez-de-chaussée. D'abord une bouteille, puis deux, puis trois...

L'alcool vous aidait.

Oui. Il forçait les portes du silence, faisait venir le chant et me donnait le courage de chanter. Je le bénis. Et je continuerai de le bénir au Ciel lorsque je verrai Jésus-Christ. Après lui avoir dit " Bonjour, monsieur Notre Seigneur Jésus-Christ ", je lui demanderai: " Que buvons-nous?" Il comprendra, Lui qui a de l'humour, qui a commencé sa vie publique au banquet de Cana et qui l'a achevée par le repas de la Cène.

Mais le temps du vin heureux ne dure pas!

Hélas! Au début, l'alcool stimule tout ce qu'il y a de bon en nous: l'amitié, la faim de justice, l'écoute, la création... Le malheur, c'est que l'on passe insensiblement de cette étape heureuse à la suivante, désolée et tragique.

Sans se rendre compte, dites-vous: "Cette maladie alcoolique, je ne l'ai pas vue venir..."

C'est vrai. Je n'en ai pas du tout été conscient. Du tout...

Même quand vous avez été malade et que vous avez été hospitalisé?

A Cologne par exemple, pour ma pancréatite?

Oui...

Pas du tout. Je mettais ça sur le compte de la fatigue. L'idée ne me venait pas, étant donné le peu que je buvais, que ces malaises puissent venir de là.

Tous les alcooliques sont comme ça?

Les autres alcooliques sont prévenus beaucoup plus tôt, parce que, avec eux, les médecins ne prennent généralement pas de gants. Moi, j'étais le père Duval, alors on ménageait un peu ma réputation...
L'alcoolique marié, sa femme le voit boire, elle pleure et le sermonne: il ne s'arrête pas, mais il sait que sa maladie fait problème. Moi, j'étais en voyage et personne ne me criait: "Casse-cou." Mais enfin, direz-vous les gens devaient bien s'en rendre compte pendant vos récitals? Pas du tout. Je n'ai jamais été soûl. Jamais. Et toute la journée qui précédait le récital, je ne buvais pas.

Pourquoi?

Pour être on pleine possession de moi-même. J'étais d'une conscience professionnelle scrupuleuse. Que l'on soit curé, pilote d'avion ou ouvrier d'usine, la conscience professionnelle c'est ce qui s'en va en dernier. Après la santé, après la joie... Quand elle s'en va, c'est que la mort est proche... Ou que l'on va se soigner.

Le père Duval s'est tu. Il est allé prendre sa guitare posée sur son lit, en a tiré quelques accords avant de reprendre en jetant un regard sur sa chambre.

Vous avez tout ici... J'étais assis à ce bureau, les bouteilles, là à côté de moi; en face le lavabo où j'allais vomir et me regarder dans la glace. Tout me revient comme si c'était hier. Je descends l'escalier vers minuit avec des pas de chat. Treize ans après, je me souviens que la dernière marche avant le palier grinçait et je devais l'enjamber pour n'éveiller personne... J'ouvre la bouteille de vin, en tenant fortement le bouchon pour qu'il ne couine pas. Je bois au goulot. Je referme le placard. Je fais cinq pas dans le couloir pour remonter. Mais... je retourne au placard avant de remonter enfin chez moi, la mort dans l'âme. Et cette humiliante comédie peut se reproduire une nouvelle fois deux heures plus tard...
Insensiblement, je m'isole. Je ferme ma porte à clé, je ne réponds plus au téléphone. Quand on frappe à la porte, je n'ose plus répondre: "Entrez." Je retiens mon souffle et j'attends que les pas s'éloignent. Je m'enfermais, je m'emmurais... Tous les liens sont rompus.

Même les amitiés?

Les amis sont encore plus paumés que les autres. Ils ne vous reconnaissent plus. Vous leur échappez et ils vous échappent.

"Trouver à ce moment-là un bien portant qui parle d'alcool sans dire de bêtises est quasiment impossible", dites-vous?

C'est vrai.

Quelles bêtises? Par exemple, ne pas dire...

La pire des choses est de se taire. Si une femme assiste à la dégringolade de son mari, il faut qu'elle lui parle. Ne pas croire que ça va s'arranger. Ça ne s'arrange jamais. Lorsque quelqu'un est sur les rails de la maladie alcoolique, il ira jusqu'au bout sans s'arrêter aux stations. Mais s'ils parlent ensemble, tout peut être sauvé. S'ils se sont aimés au début, tout reviendra. Au long de quatorze années de sobriété, j'ai toujours vu ça. Je le dis d'expérience je n'ai même vu que ça! Si deux êtres se sont aimés, même si l'un des deux boit, s'ils continuent à se parler, rien n'est perdu.

Mais que dire à son mari qui boit?

Madame, si votre mari est alcoolique, parlez-lui! Dits-lui qu'il est malade. D'une maladie grave. Beaucoup plus grave qu'il ne le croît et que vous ne croyez. Il y a de la mort qui rôde. Dites-lui que le père Duval a failli se ficher en l'air parce que tout le monde se taisait. La médecins se taisaient. Ma famille se taisait. Mes supérieurs se taisaient. Mes amis se taisaient. Les bistrots se taisaient... Si vous, sa femme, ne lui dites rien, personne d'autre ne lui dira. Sur le moment, il vous donnera peut être une baffe: parce qu'il ne peut pas réagir autrement devant la vérité. Mais il ne vous on voudra jamais; au contraire, il vous en remerciera cent fois. Même s'il ne le manifeste pas. Il ne le peut pas encore. Mais en lui-même, il se dit: " Elle m'aime encore assez pour me dire une vérité douloureuse. Il n'y a que cette voie: celle de la vérité."

A un moment, père Duval, vous avez voulu mourir...

Oui... J'étais là à mon bureau. Ne pouvant plus me supporter tel que je suis ni supporter le monde tel qu'il est. J'ai voulu m'en aller vers les pays heureux.

Vous partiez sans peur?

Aucune. Quand on n'est qu'un petit bonhomme de bonne volonté, on n'a pas peur de mourir. Ma mère n'a pas eu peur... Enfin arriver à tout comprendre: le mal, la bêtise des gens et surtout la mystérieuse obstination de Dieu à se cacher. Comprendre le bien aussi, la beauté, le pardon, la tendresse...

Il y a du suicide dans l'alcool...

Toujours. Dans l'assoupissement qu'il provoque, il y a déjà comme un consentement à la mort où l'on s'en remet à Dieu si l'on est croyant. Ou à la vie ou à la terre...

Vous ne mourrez pas car quelqu'un arrivera. L'hôpital vous tirera d'affaire et, trois semaines plus tard, deux de vos amis vous conduiront dans la clinique du docteur Fouquet...

Un alcoologue qui me parle avec intelligence et amitié. Et, tout à coup, je comprends tout: je suis alcoolique! Mes malaises, mes angoisses, mes horribles nuits, c'était donc ça ?

Vous ne saviez toujours pas!

Aussi incompréhensible que cela paraisse, je ne le savais pas! Je vous le disais, je n'ai jamais été soûl, je buvais peu. L'alcoolique, du reste, n'est pas toujours un gros buveur. Mais, en réalité, la quantité importe guère. Ce qui compte, c'est la manière dont l'esprit et le foie accueillent l'alcool.

Nous n'allons pas reprendre toutes les étapes de votre guérison... Mais un jour vous avez su que vous sortiriez du trou. C'était le 20 mars 1970!

Ce jour-là, une jeune femme est venue me prendre à la porte de la clinique "Je m'appelle Christiane, je suis alcoolique et je viens vous chercher pour la réunion de ce soir." Je n'en revenais pas. Elle est alcoolique et elle le dit!
Je suis allé avec elle à cette réunion et, devant vingt hommes et femmes, tous plus jeunes que moi, j'ai dit pour la première fois: "Je m'appelle Lucien et je suis alcoolique." Si vous saviez le choc que l'on reçoit en disant ces mots! A haute voix! En public! Tout seul, je me le disais depuis un an, mais jamais je n'avais osé le dire, pas même à un copain quand j'étais revenu à Nancy. Pour la première fois enfin, publiquement, je fondais ma vie sur cette vérité. Vérité douloureuse, mais vérité capitale : "Je m'appelle Lucien et je suis alcoolique."

Et à partir de ce moment-là, quelque chose se passe...

Quelque chose de très mystérieux... Cette vérité qui était trop lourde pour soi tout seul on la porte maintenant avec d'autres. "Je m'appelle Lucien et je suis alcoolique." Et les autres me regardent. Et nous scellons une amitié, à la vie et à la mort. Un respect à la vie et à la mort. Une confiance à la vie et à la mort. Quelque chose de monumental se fissurait dans ma tête: la honte. Et puis la raideur. Et puis le désespoir... Fabuleux! Comme si nous autres chrétiens qui n'avons pas assez de courage, nous nous mettions à dire devant la communauté rassemblée:
- Je tiens à avouer que j'ai volé 1000F!
- Que j'ai humilié mon voisin!
- Que j'ai été dédaigneux et fricailleur !
- Que j'ai trompé n'a femme. Je lui ai d'ailleurs demandé pardon, mais j'en demande aussi pardon à la communauté !
Le jour où les chrétiens se mettront à vivre comme ça, il y aura une révolution, je vous préviens!

Nous guérirons aussi... Comme guérit l'alcoolique!

A coup sûr. On serait guéri de la peur, de la méfiance... De la peur des autres, de la peur de leur jugement sur nous. L'humilité guérit de tout. Cela nous a été dit d'ailleurs: "Celui qui s'abaisse sera élevé." Si l'on ne comprend pas, qu'on essaie!

Être humble, mais s'aimer! S'aimer soi-même. Ce que conseille Pierre, alcoolique guéri, dès votre première rencontre, je crois: "Aime-toi, Lucien."

Ah oui! S'aimer soi-même... Pierre avait bien vu où était le nœud de ma maladie. C'est dangereux d'être pris par la frénésie de faire du bien aux autres, car à trop jouer au Saint-Bernard on risque de picoler au tonneau, en pleurant sur le sort de naufragés. "Aime-toi, Lucien."
J'avais tout à apprendre de cette sagesse. Il faut aimer la pauvre bête qui est en nous.

On ne vous avait pas appris ça?

Jamais. Ni ma mère ni surtout les jésuites.

Mais à votre mère non plus on ne l'avait pas appris...

Non, mais elle était très équilibrée. Tout son bonheur réel était d'aimer ses enfants qui le lui rendaient bien. Tandis que moi, je vivais aux dépens de mon bonheur... Contre mon bonheur.

Et les jésuites n'avaient rien arrangé...

Ne dites pas les jésuites. Dites certains jésuites. Un père directeur en particulier. Je sortais d'un milieu pauvre et humilié. Or, au lieu de me dire: "Tu n'es qu'un fils de paysan mais sois-en fier; tu as reçu la vocation de Jésus-Christ, alors vas prêcher l'évangile!", on me forçait à m'humilier encore plus en m'obligeant, par exemple, à me mettre à genoux devant tout le monde, pour avoir marché trop vite dans un couloir, ou pour avoir eu un regard de travers... Pour de telles bêtises, de telles gamineries, il parlait avec l'autorité de Dieu!
Alors, à la timidité répond la méfiance. A la méfiance la fuite. A la fuite, une méfiance plus grande encore...

Jusqu'à la fuite dans l'alcool?

Justement... Et j'ai continué de souffrir de cette insécurité de lièvre, même plus tard quand je chantais. Dans cette insécurité il y avait l'essentiel de ma maladie. Mais qu'y pouvais-je? J'étais bâti comme ça... Pour me faire insécuriser par des gens peu intelligents. On ne devient pas alcoolique à cause des choses mais à cause des gens. Ni par vice... Mais parce qu'on ne peut pas faire autrement.
Parce qu'on est fragile... Et parce qu'on n'a pas eu son compte de ciment au moment où l'on construisait sa maison, elle restera toujours friable.

Pourtant, vous avez eu une enfance heureuse, vous avez été aimé...

Une enfance très heureuse, oui. Ce n'était pas la vie elle-même qui me faisait peur. Ni la mort chez un voisin. Ni un incendie chez un cousin. Ni la tempête qui couchait les blés. Ces choses-là ne peuvent faire un alcoolique. Elles ne s'attaquent pas à l'âme... L'insécurité est venue plus tard. Quand je me suis retrouvé dans la ville, à l'école, puis au collège, puis chez les jésuites...

Mais sans cette insécurité, vous n'auriez peut-être pas trouvé les mots, ni la musique pour les chanter...

Évidemment. Et je n'aurais pas aimé Jésus-Christ comme je l'aime. Je ne regrette rien de ce qui s'est passé, pour devenir ce que je suis. Le petit gamin avait raison de rêver en regardant la lune quand un maître d'école le poussait aux larmes, quand un libraire ricanait de son petit bon Dieu, quand un père supérieur l'humiliait en le faisant mettre à genoux... L'homme à la guitare aussi avait raison, lui qui rêvait de gens qui ne soient pas durs entre eux, qui ne trichent pas sur leur vraie valeur, pour qui les difficultés soient légères aux épaules fragiles... Ce rêve, aujourd'hui, est devenu réalité grâce aux alcooliques que j'ai rencontrés.

Ainsi, l'alcoolisme serait une maladie de l'âme. Une maladie mystique comme vous l'écrivez...

Le mystique c'est celui qui voit la face cachée de la lune, la face cachée de la terre qu'est le ciel. Ce que voit l'alcoolique précisément. Et s'il devient méchant ou s'il devient triste, c'est parce qu'il ne peut mettre en accord ce qu'il rêve et ce qu'il fait. Ce qu'il rêve et ce qu'il voit.

Je ne regrette rien de ce qui s'est passé, me disiez-vous tout à l'heure...

C'est vrai. C'est la plus grande grâce qui m'ait été faite finalement. Avec le baptême qui m'a donné la foi.

Plus que l'aventure de la chanson?

La chanson n'est rien à côté de ce que j'ai vécu avec l'alcool! La chanson c'est l'itinéraire de quelqu'un qui vit, qui marche, qui se fait applaudir. Avec l'alcool j'étais mort... Et je suis ressuscité. Tous les alcooliques, morts et ressuscités comme moi, comprennent très bien ce que je dis.

Aujourd'hui, père Duval, vous aidez d'autres alcooliques à ressusciter...

J'essaie. Je suis là pour eux... Pour les écouter, parler avec eux. Je vais d'ailleurs bientôt créer un "SOS alcool". Je vous en parle pour la première fois! Un numéro de téléphone où l'on pourra m'appeler. Toute la nuit. Car, par expérience, je sais que la nuit est terrible pour un alcoolique, c'est l'heure où le désespoir attaque.

Vous chantez encore?

Mais oui... Ce matin encore, on m'a écrit pour me demander d'aller chanter à Châtenay-Malabry le 22 mars et j'ai répondu oui. Je chante toujours. Gratuitement. Toujours gratuitement...

L'argent ne vous intéresse pas...

S'il m'avait intéressé, je ne serais pas devenu alcoolique. On ne peut pas aimer Dieu et l'argent... Mais on peut aimer Dieu et l'alcool. Si j'aimais l'argent, j'aurais aussi choisi un grand éditeur parisien pour publier mon livre... J'ai eu des propositions d'une très grosse maison d'édition, mais j'ai dit non.

Justement, pourquoi avoir choisi un petit éditeur comme Salvator?

Pour rester petit et montrer que le fric ne suffit pas à tout. Que la force et le rayonnement de la vérité peuvent se passer de lui...

Du temps qui vous reste maintenant, que ferez-vous?

Je ne fais pas de projets car, dans ma vie, tout a toujours tourné autrement que je ne le prévoyais. L'aventure de la chanson a été totalement imprévue, non voulue, on m'a dit de chanter et j'ai chanté! Et puis, le Bon Dieu m'a laissé tomber dans l'alcool et le désespoir: j'ai bu et désespéré au point de vouloir mourir! Maintenant, je m'aperçois qu'il y a des copains à aider, alors je les aide! Demain, je verrai bien...

Vous n'avez jamais douté de Dieu...

Jamais. Et plus j'avance, plus je crois en lui... Parce qu'il m'a sauvé de ma demi folie et de la mort.





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